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La forêt et la nuit 1

Publié le par Mathias LEH

La forêt et la nuit 1

Dans le pays d’où je viens, ils ont peu à peu appris à nous faire taire. Nous ne pouvions vraiment le savoir. Je crois que je ne le sais vraiment qu’à partir de maintenant, depuis ces quelques branches au fond d’un bois. Je ne le sais que dans l’aboutissement de cet anéantissement.

J’ai du temps, enfin je l’espère, de la solitude en pagaille et ces feuilles et crayons. J’ai pu emporter cela, j’ai sauvé ces quelques objets pour que tu saches, que tu comprennes, que tu cesses de penser que je vous ai abandonnés.

J’essaie donc d’écrire. C’est difficile, le vent et l’humidité ne m’aident pas, la fatigue, la lassitude, mais dans mon esprit cela va bon train, crois-moi ! Ce sera long, ce sera la fin mais tu sauras… Enfin !  Savoir ! Disons que tu auras ma vision de ce qui est advenu…

Pour que tu comprennes il faudrait probablement que je revienne aux sources, ou presque. Forme d’historique te permettant de mieux saisir.

Suis-je au moins parvenu à vous mettre à l’abri ?

Tu sais, depuis que j’ai réussi à fuir, depuis que je suis arrivé là et que j’ai compris que je n’irai pas plus loin, je ne ressens la culpabilité que par vagues successives, elles repartent pour une seule et vraie raison : rester vous mettait encore plus en danger.

Je passe des nuits entières, blotti dans le gris de la terre humide, à revoir ce qui est arrivé, non pas à moi, non pas à nous mais à tout un pays, à tout un système, j’ai peur de verser dans une forme de paranoïa, l’avenir nous le dira, pourvu que je sois juste devenu fou…

Ils ont probablement réussi, il n’y a pas de maquis, il n’y a pas de résistance, je ne suis pas réfugié en terres amies, je ne peux pas dire où je suis, je ne peux rien, considère que j’ai disparu, c’est tout comme…

Ethel, souviens-toi certaines choses essentielles, mes mots arriveront, ils ne se méfient plus du papier, cela n’a plus de valeur pour eux, ils ne jurent que par la communication par des formules chocs, des images.

Ethel, il n’y a pas si longtemps nous avions un monde alors jugé pourri mais tellement plus convenable. Tu l’as vaguement connu puis nous avons tous été emportés, sans consentement, sans protestation, vers le large de cette dictature sans nom, cette liberté mentie.

Je ne suis pas sauvé, je ne le puis à partir du moment où je sais que je ne vous verrai jamais plus, et c’est l’idée seule, l’idée même de pouvoir vous donner une dernière fois quelque chose, ces mots, qui me tient en vie.

J’ai marché si longtemps, je me suis caché tant de fois afin de parvenir à cette niche végétale. Il me faut me lover dans l’humus et la chlorophylle pour achever mon récit. Je ne veux pas que vous n’ayez que leur version, si jamais on vous en donne une, je veux dépeupler votre imagination, ce qui m’est arrivé, de ce qui semble en route.

Ton frère est tellement plus retiré en lui-même, ton frère sera dans l’œil du cyclone en devenant homme, il doit me lire mais après toi, prépare-le, une guerre sombre est là, nous pensions que nous pourrions vivre tous ensemble mais il n’en est rien et les places sont réservées, il ne faudra pas sortir des rangs, il faudra être dans l’optimum.

Je dois ordonner ma pensée, tenter de suivre un fil.

Ecoute-moi, lis-moi, rappelle-toi ma voix quand je m’adressais à toi, dans l’enfance et la suite, je suis là, je suis avec toi, je ne sais finalement que ça.

Le départ de tout cela, car il y a toujours non peut-être pas un départ mais un élément qui déclenche, qui met le feu aux poudres, ce sont ces ouragans successifs qui sont venus frapper par trois fois nos terres, puis quelques mois plus tard, alors que nous étions encore à terre, le tremblement de terre, le premier, terrible.

Il fallait faire taire l’affolement, il fallait canaliser l’horreur et le dénuement grandissant. En moins d’un an une grande partie des habitants étaient pauvres, laissés à eux-mêmes. Tu sais, malheureusement, que cet état ne rend ni bienveillant, ni doux, ni compréhensif. Quatre cataclysmes en si peu de temps, les superstitions et les interprétations rapides ont fleuri. Tu étais jeune, je voulais vous mettre à l’abri, nous n’en avons que peu parlé, je pensais également que cela ne durerait pas. J’ai toujours été trop utopiste, optimiste, je me disais que cela passerait et que les vieux idéaux redonneraient rapidement de la lumière. Mais non. Je me tenais à l’écart du brouhaha, j’ai souvent préféré cela tout au long de ma vie, être le plus loin possible du bruit du monde, j’aurais peut-être dû poursuivre mais il y a eu cette putain d’histoire.

Nous vivions tous les trois dans une petite ville sans envergure, un lieu comme tant d’autre, je ne l’aimais pas mais je n’aime pas les villes. J’aurais dû encore plus se méfier des hommes. Je suis désolé, c’est dur mais c’est ce qui me vient, si fort, si rude, si dense là maintenant.

L’été, dans les heures douces, car le monde marchait réellement sur deux temps, faire face aux vents, aux pluies, à la reconstruction et poursuivre tout comme avant, pire qu’avant même, une forme de « faire semblant » assez pathétique quand j’y pense. Les autorités mutaient, nous étions en état d’urgence alors que faire ? Que dire ? Les prix augmentaient, les salaires baissaient, pour tous, c’était irrémédiable nous expliquait-on et cela pour que le monde s’en sorte, que répondre ?

Mais j’étais tout de même en vacances et j’allais dans les campagnes, aider, plutôt vaguement à vrai dire, je changeais d’air, vous étiez dans votre famille, j’étais seul, je ne m’occupais que de moi, ce que je fais de plus mal !

J’avoue, je me suis laissé séduire par José. Je ne voulais pas, je n’avais pas la place raisonnable pour quoi que ce fut et encore moins ce mec de dix ans plus jeune et venant d’ailleurs avec un accent des terres de l’au-delà. Je ne voulais pas d’un homme, mais pour moi la question ne se situait même pas là. Il a insisté, il est revenu, venu et a gagné. La raison est simple, en fait, je n’en revenais même pas que quelqu’un puisse s’intéresser à moi, surtout d’un point de vue charnel. Imbécile, je me suis narcissiquement laissé fléchir. Je te dois de ne pas entrer dans les détails, là n’est pas le feu de ce que j’ai à te dire mais cela en fait bel et bien partie. Je ne crois pas pouvoir dire que j’ai été très stable en « amour » même si ce mot me dérange.

L’amour. Ils l’ont d’ailleurs totalement piétiné cette séduisante idée et en ont fait un impératif d’assortiment, aimer, consommer…

Je ne voulais pas coucher avec José, je ne voulais entrer sur ce curieux sentier, je voulais rester ce curieux faux veuf, ce statut me convenait parfaitement, il me laissait tranquille, tant dedans que dehors… Mais il a fait sauter une à une les barrières, avec minutie, avec attention… J’ai finalement aimé cette étrange histoire, à demi-cachée même si je n’ai jamais eu honte d’être avec un autre homme, en tout cas, là, dans ce monde-là à ce moment précis.
Je crois que vous vous en êtes doutés rapidement, il y avait entre nous des non-dits, cependant vous l’avez croisé et j’ai parfois parlé de lui avec une telle affection, il sortait d’ailleurs de ma chambre… Il a fallu beaucoup de temps pour aborder frontalement ce sujet entre nous, le temps qu’il se retire concrètement de ma vie en fait !

Il avait pourtant marqué ma vie, durablement, comment le nier, il apparaît si nettement aujourd’hui ! C’est moi qui l’ai congédié, je ne voulais pas l’enfermer dans ce qui devenait pour moi trop important, je pensais d’ailleurs qu’il s’enfermait en nous et avait besoin d’aller le monde, vivre éperdument.

J’ai longuement regretté cette décision, nous nous sommes revus deux fois et toujours cette flamme dans ses yeux, j’ai voulu garder notre histoire intacte, ai-je été trop romantique ?

Il n’en reste pas moins que j’étais devenu au regard du monde, dans les cercles sociaux et professionnels, un homosexuel, je mettais cela de côté.

J’ai pris l’habitude, depuis les strates de l’enfance, de laisser certaines questions sur le bord de la route. Que ce soit, enfant, à propos de mes parents, puis de mon intimité par la suite. Je pouvais aussi, paradoxalement, les traiter frontalement quand elles devenaient trop prégnantes.

Je n’ai donc jamais caché que j’étais homosexuel, je ne l’ai jamais revendiqué non plus, c’était là. Je ne me suis méfié de rien…

José est parti avant le troisième ouragan, nous vivions dans un appartement qui avait tenu mais sous les toits la pluie venait jusqu’à nous et les escaliers qui menaient à notre étage avaient en grande partie cédé, nous escaladions, nous mettions des bassines, nous étions plutôt bien lotis malgré et avant tout. J’étais fonctionnaire de l’état, c’était une chance…

Tu sais ma belle et tendre Ethel, quand le vent souffle et ravage mon corps flétri, quand je m’aplatis le plus possible entre les branches et les feuilles, quand je sens le mouvement lancinant et multiple des insectes entre le végétal et moi, je repense à ces heures à affronter le vent ensemble, je vous protégeais tant que je le pouvais et nous avons su résister…

Quand est arrivé le tremblement de terre, je n’avais jamais ressenti pareil sensation, c’est passé directement par le corps. Le sol, cet irrémédiable, ce support parfait, lâchait ! Je ne sais plus combien de temps cela a duré, une intensité lumineuse et aveuglante, court et infini. J’ai gardé mon sang froid, je me suis placardé contre les premiers lieux de repli et, instantanément, la peur et l’angoisse m’ont attaqué.

Où étiez-vous ? Aviez-vous pu en ressortir indemnes ?

Les ouragans avaient laminé le pays mais surtout la population. Les vols, les pillages étaient de plus en plus fréquents. Certains de façon justifiée à mes yeux, les gens n’avaient plus même de quoi se nourrir ! D’autres, fatalement, par pur souci de profit de la situation…

Le froid parfois crispe mes doigts, j’ai du mal à aligner les mots qui vont pourtant si vite dans mon esprit perturbé. La faim ne me tiraille plus, je grappille le peu que je puisse trouver dans cette forêt, ce n’est pas fameux, je ressemble probablement à un naufragé d’un quelconque camp de la mort, peu importe…

Je ne suis venu ici que pour mourir dérobé à eux, vieil éléphant je veux finir dans ce qu’il me reste de propre, la nature, si souillée et oubliée soit-elle !

Je n’ai pas su analyser la situation que nous vivions à l’époque avec assez de pessimisme, je n’ai pas vu venir ce qui allait tous nous précipiter dans ce que nous vivrions par la suite…

Vous avez grandi, je ne m’en rends compte réellement qu’à présent, dans cette ambiance étrange où l’urgence côtoyait en permanence le quotidien. Après le tremblement de terre, tout s’est accéléré. Je me souviens avant tout de ces deux jours, que c’est long, qu’il a fallu pour vous retrouver tous les deux. J’étais prêt à tout, je ne pouvais me résoudre à vous avoir perdu ! Ton frère fut le plus long à retrouver, tu t’en souviens probablement, il était sain et sauf mais avait été hébergé par une famille charitable, il en restait alors. La peur était entrée en moi, deux jours plus tard, des hommes cagoulés sont venus de nuit et ont voulu forcer la porte. J’étais derrière, je la maintenais fermée, on ne pouvait plus rien faire, appeler n’était pas possible, le réseau était mort et personne ne se serait occupé de cela à l’époque. Ce n’est pas l’épisode en lui-même, c’était monnaie courante depuis quelques mois, ce sont leurs vociférations à travers la porte. « On va entrer et te fracasser sale pédé ! », « Tes gamins méritent mieux que toi, enculé ! », « Allez ouvre, on te prendra un petit coup au passage ! »…

J’avais peur, peur que vous entendiez, la honte est venue se coller à la peur, j’étais pétrifié !

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