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Une nuit sur la grève

Publié le par Mathias LEH

Une nuit sur la grève

Ceci aurait pu.

Mot à mot.

Constituer la dernière missive.

Des mots couleur délavée dans les algues et le sel.

Des syllabes scandées sur le dictaphone des heures pâles à parcourir la grève…

Je n’ai pas choisi le bonheur à deux.

Il eut mieux fallu, comme il faudrait…

Tu as coupé les liens, un à un, tu continues !

Je n’ai pas choisi…

Le choix ?

Pas de repère

Prendre la poudre d’escampette…

Prendre le temps, se lover dans une coquille, quitte à ce que ne soit pas la sienne !

Il n’y a pas de choix, on ne peut toujours faire ainsi.

Il était parti, après des décennies de fausse tranquillité. Il avait franchi un pas, malgré lui.

Quelquefois on ne sait pas, on y va, on ne peut plus faire autrement.

Le corps se met en marche avant de tomber définitivement. Il entre dans un cercle nouveau, il ne sortira peut-être plus.

Il avait traversé des plaines et des plaines, il asséchait le désir, le comprimait et ne ressentait pas grand-chose.

On reste dans la case, vide, on réagit, on cherche, on retrouve, pas de case, c’est une case ?

Est-ce une vie à l’envers ? A rebours ?

Etais-je vieux quand j’étais jeune ? Pétri de certitudes, plein d’incandescentes certitudes, mes principes plus rigides qu’une église !

J’ai pris le sentier, les gloires passées…

Il reste cette part infime, quand on se croit coincé, il y a cette miette au creux de soi, on décide.

Au pied de la falaise, soudain, quand tu avances comme mu par un élan terrible, le choix, la pensée, le renoncement.

Avoir pris ce chemin et pas un autre, mettre le monde entre moi et ma volonté, mettre du concret, du sonnant, du trébuchant pour faire face.

Quelquefois, chaque jour, comme le dernier, comme si tout pouvait passer par-dessus bord, simplement, sans souffrance.

Chaque fil, la plus infime ficelle, j’ai pris le temps, j’ai réfléchi en dedans, dans la course et le vent, sans organiser, car c’est ainsi que je suis, dans le brouillard, dans le non-dit, une pudeur des profondeurs. Tout fut pris pour faire barrage, barrage outrageux contre l’angoisse, la mort, la nuit la plus totale. Cette pulsion, ce ressort terrible et fabuleux, sauter, aller outre, finir.

En finir.

Il sillonnait en dedans, le dehors comme métaphore, s’user le corps et l’esprit.

Quand dans la nuit, entre chienne et louve, dans la bouche tendre et rugissante des flots océan, j’ai failli sauter, corps tout entier, âme dépossédée, j’étais là, avec moi, entier.

Il est dans le cercle, nuit et jour, il tourne et pourrait ne pas le savoir.

Regarde son regard, il se vide peu à peu.

Dans le vague, dans le lointain.

Tu agis pour te faire croire que cela en vaudrait la peine.

Le choix, tu ne l’as pas.

C’est dans la prunelle de cette certitude qu’il faut trouver sa place, fusse-t-elle dans le nid de la tourmente.

Le deux est perdu et le un disloqué.

Comment alors pouvoir penser le trois ?

Il est des blagues dont on ne rit pas…

Il est dans cette chambre, toujours la même quoique les lieux changent. Il est dans ce doux piège, le temps passe, il va, il vient. Rien au fond.

Tu regardais la mer hier. Tu avais cet air que j’aime chez toi, absent et pourtant tellement à ce qui semble te parcourir. Tu as relevé la tête et dit, simple, il serait bon de plonger.

Je ne comprends jamais ce que tu me dis, jamais dans l’intensité.

Ou je le fais exprès, je ne veux surtout pas comprendre.

Il marche, pied nu, contact doux et intense du sable, il avance.

Il a souri.

Il le fait souvent.

Il se souvient.

Il y avait ce rêve. Une maison au coin de la forêt. Une grande cheminée. Des chats. Des enfants.

Il a grandi. Il est mort plusieurs fois. Il ne reste qu’un squelette. Les branches ne prennent plus de bourgeons.

Tu te souviens ?

Tu dansais des heures et des heures dans le réduit de ta chambre, tu te cachais du monde afin de mettre le bonheur en action. As-tu réussi ?

J’ai gardé le goût du rythme, j’ai gardé la nuit des déhanchés comme un ultime secret. Si tu savais depuis combien de temps je n’ai pas dansé ! Si tu savais depuis combien de temps cette connivence ne m’a pas été donné !

Il était nu sous la pluie, personne ne pouvait le voir, il dansait et riait.

Il a eu la joie facile, le rire volatile et s’impose un silence étrange.

Quand vous viendrez, quand la porte se refermera.

Que direz-vous ?

Tu sais. Tu avais compris. Dis-moi, quand cela a-t-il commencé ?

Est-ce important de la savoir ?

A présent, c’est en place, la racine est profonde.

Il existe tant de chemins pour y parvenir.

Il en prenait certains. Il a joué avec le feu, il savait, la blessure n’en serait que plus imminente. Elle l’est.

Comme je le connais, dis-leur, s’il en reste, dis-leur qu’il n’a pas souffert, non, c’est certain, il met trop de temps à ressentir profondément les choses, ce trouble qui l’habitait, tu sais bien, cette froide contemplation du mal, il n’est pas là.

Tu viens ?

La mer hurle soudain, il est allé droit à elle, le dernier et le premier rendez-vous, il a regardé au-dedans de lui. La mère ?

Les livres expliquent trop.

Il ressent cette douce et imperturbable quiétude, il va, il doit, il est sur le fil, funambule.

Je n’ai pas besoin de continuer, pas besoin d’user la vie comme un imbécile, je pars content, curieusement.

Tu es là, tu me diras, j’aime les morts, ils me bercent mieux que les vivants, je ne veux pas y croire, j’ai réussi.

Il a pris une décision. Il est devenu maître des moments, de l’instant, il a suivi cette ligne claire.

Il est tard.

On voit à peine.

Il jette son sac à la mer.

Il se met à nu. Il ressent le vent. Chair de poule. Il aimerait une musique folle, un air endiablé mué de mille et un rythmes mais c’est une toute petite ritournelle qui vient peupler son esprit, il fredonne en se posant sur une pierre. Il sent tant et tant sa peau qui réagit au frais du soir. Son cul sur la pierre, son sexe qui pend, son dos soulagé de la sueur et du sac, ses pieds endoloris, les muscles contrits, l’odeur de l’effort passé. Il est arrivé.

« Une petite cantate du bout des doigts, une petite cantate pour toi et moi »…

Je marmonne dans l’orangé et le bleuté de ce soir. J’ai mis le monde des vivants à l’écart. Je crois pouvoir dire que j’en suis heureux.

Cette année, tu le sais, fut celle des morts, ils furent légion, je rejoins les miens. J’attends et soudain, quand la nuit sera totale, j’irai, je prendrai le train des écumes et des vagues.

Ne me sers pas, surtout pas, les mots habituels sur ceux qui restent, sur les temps à venir, sur le champ des possibles. Je suis bien. Je suis heureux soudain. Un soleil intense, même si tu dirais qu’il est noir, luit pour moi.

Ne me donne pas la main, je suis homme. En m’élançant je prends toute ma force, enfin…

Il est nuit.

Il s’est endormi.

La pluie le surprend.

Il est collé à la pierre, recroquevillé.

On entend, sans cesse, le chant des grenouilles, le criquet bois et la bouche océan qui s’écrase sur les falaises.

Il frissonne.

Je ne suis pas dans le fond des océans. Je suis là. J’ai froid. Je n’ai plus la force. Je ne sais. Une honte infinie remonte des entrailles. De la boue. Je suis debout. J’ai mal aux pieds, au dos.

Je n’ai pas peur, c’est si certain que je ne comprends rien.

Tu viendras. Tu m’accompagneras dans cette vie terne et triste ?

Je dois me résigner, ce n’est pas le moment. Le romantisme s’éteint là, entre la mer et les étoiles.

Il a retrouvé le sac dans le flanc des roches, il a pris du temps, il en avait tant cette nuit-là. Le désespoir a pu poindre. Quand il s’est assis une dernière fois. Enfin. Des larmes, des pleurs et ce déchirement, un hurlement, le cri.

Où se cache la colère ?

Où se trouve le chemin du retour ?

Ne pleure pas, tu ne sais pas y faire !

Prends tout et repart.

Je viendrai.

Je te donnerai quelques mots pour retrouver forme humaine et faire encore un peu semblant. Je suis la trêve, je suis en toi, je suis le curieux amant de ce toi qui ne te colle pas, de ce corps que tu refuses. Allez, on rentre, il est tard et tu vas avoir du mal à retrouver ta route.

Il a séché les larmes. Rapide. Il a quitté cette place lourde et soulevée par le vent.

Les mots s’effacent, le sable et plus aucune trace. Une nuit sur l’îlet. Une pluie de plus.

Etre extase, dans mort, être autour. Tout autour. Et le monde s’interrompt…

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