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AU LARGE

Publié le par Mathias LEH

Cela l’a pris alors qu’il nageait aux larges des côtes. Il a disparu.

On le cherche.

On croit à sa mort, happé par les courants.

Meurtrissures.

Les méduses se sont mises à chanter.

Son corps gonflé peu à peu par le sel et les sargasses… Parlerez-vous de lui. A présent disparu.

Le chant des oubliés.

Ce corps soudain effacé. Relevé du vivant.

Les nuits passées au son des hylodes, tourné dans un songe étrange.

Donne le regard vert de kaki avant que les souvenirs s’estompent.

Il nageait, hagard il a poussé encore un peu plus loin. Son désir mort. Son désir de mort. Tout depuis son arrivée ne parlait finalement que de cela, il a su tromper son monde. Il faisait grand place à l’ombre, doucement, dans ce rapprochement d’avec les éléments.

Le doigt sur la couture.

On parlera de suicide. On fera grand bruit puis la surface cristalline du monde, des quotidiens, recouvrira peu à peu le souvenir. Le monde prend sa logique de cette dynamique. Les noms oubliés.

Sa terre lointaine, comment parler de toi ?

Qui es-tu ?

Chant lointain, en connais-tu au moins la langue ?

Ce rêve, si proche soudain, d’être un étranger, d’être d’ailleurs. Quel ailleurs ?

Le corps s’efface, se marque, se strie et les désirs se meurent dans les couloirs du temps, dans la pluie des kilomètres.

Un homme. C’était un homme. Voilà une des seules certitudes.

Cette phrase, lente et lancinante, passe et repasse.

On ne retrouve pas le corps.

On cherche et cherche encore. On espère. On attend. Les pleurs rejoignent la colère. On imagine, forcément.

Il serait parti, en catimini. On le voit au Chili, au Brésil. Parti sans laisser d’adresse…

Maintenant disparu.

Les pistes sont infinies. Elles se dessinent là, sous le sable noir, où il aimait à poser les pieds.

Il croyait changer, enfin. Tant de kilomètres, l’apparence d’être détaché, isolé et seul. Avoir sa force au creux de soi. Force de soutenir.

Se soutenir au cœur des colibris, dans la termitière au soleil des tropiques.

Sur la terre où esclaves s’unir à Caraïbes, il aurait suivi la trace des tortues vertes, il a décidé comme ils avalaient leur langue afin de se soustraire à une terre qui les arrachait à la leur, il a choisi…

La langue, le flot qui fut le tien, le mien, nos étreintes dans le verbe. Nos fanges.

Crie. Le son se perd dans les lueurs bleues acides de l’eau salée.

Tu es fait prisonnier, tu ne réchappes pas, pas cette fois. Il ne fallait pas éternellement te croire au-dessus.

Il allait du cap enragé aux longues prairies de posidonie. Il aurait dérivé à la suite d’une tortue, trop fort épris de leur course mutuelle. S’offrir carapace dans l’infini profond de ces eaux.

Il est parfois plus simple de vouloir, de maugréer sans jamais bouger que de s’exécuter. Accomplir son rêve peut s’avérer si déstabilisant. Se croire détaché.

Clandestin dans cette existence, flottant dans les houles. Laisser le monde se ruer vers l’absurde.

On ne change pas, on recommence. Cette phrase est revenue en boucle. Il ne savait qu’en faire.

Il était simple dans les apparences et les choix. Complexe et torturé dans les puits.

Ils sont venus, un à un, le cœur lourd ou surpris.

Le bonheur, le malheur.

Qu’est-ce donc que cela ?

Il est des strates autres, il est des lieux entre les deux, des sphères à nulle autre oubliées. Je pars en eaux troubles, je plonge et je perds la respiration, je suis branchies.

Il avait passé vie dans le travail et l’acharnement mais là, tout lâchait, il ne parvenait plus à recommencer et donner tant et tant le change, une pièce aurait sauté…

Du corps, aucun récit, dans le secret des récifs coralliens.

Il a été dit, il avait laissé quelques notes… Cette île, ce retour au magma et il ne comprenait que peu à peu, les origines, cette terreur, l’atroce de l’esclavage dans son sang et pourtant, qu’est-il de tout cela ? Quelle place occupée aujourd’hui ? De qui se sentir héritier ?

Il a choisi d’errer sans cesse au grès des courants, dans la gueule du requin, le mouvement lent et assuré de la raie, le regard oblique et assuré de la tortue…

Il voulait tendre main et a perdu équilibre. Les canaux qui bordent chaque extrémité, les vents contraires, tout, il a tout retrouvé, mais il est trop tard…

Qui sait ?

N’oublie pas, ne te hâte pas. Tu te trompes, il était heureux mais d’un bonheur trop plein, en dehors de mots, bonheur soleil de midi. Il ne savait pas faire face et cette sempiternelle effrondation : d’où partir ? Les origines.

Pas de larme, il reviendra, il aura poussé plus loin que les côtes. Patience, je suis un homme qui pleure, le regard croisé, les souffrances.

Je suis celui qui rit et saute dans les flots. Pars le monde en courant, marchant, dansant, chantant…

J’épouse l’infini du petit grain de sable au creux de mes pieds, je laisse la nuit entre tes mots…

Je veux le monde entre l’île et là-bas, les saveurs se prennent et ne courent plus le monde souterrain sans prendre précaution. Je te prends, je te donne, je suis là et ailleurs…

AU LARGE
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